Vous êtes nuls en entretien d'embauche technique

Vous êtes nuls, oui, vous. Vous embauchez les mauvaises personnes pour les mauvaises raisons.

A travers l’expérience du recrutement d’un nouvel intégrateur chez un grand acteur du web social français, je voudrais montrer que c’est tout à fait possible d’embaucher plus de femmes pour des postes techniques. Il suffit de changer un peu de point de vue.

Aux développeuses, auto-didactes, timides ou débutantes, je donnerai également quelques pistes qui vous aideront à mieux évaluer votre savoir-faire.

Comment nous avons recruté notre nouvelle intégratrice

Dans une entreprise éditrice d’un grand réseaux social français, on nous demande lors d’un départ de l’équipe des intégrateurs de trouver un remplaçant pour un poste d’intégrateur web.

Nous sommes quatre femmes dans l’équipe technique : Eva* est développeuse web, Noémie* est développeuse Javascript, Marion et moi sommes toutes les deux intégratrices avec plusieurs années d’expérience, à la fois en intégration web ainsi qu’en gestion de projet de par notre expérience freelance. Nous partageons l’étage avec une vingtaine de développeurs, de graphistes et de chefs de projet, tous masculins. Une bonne partie de notre travail consiste à communiquer avec eux et à trouver les meilleurs compromis entre faisabilité technique et envies folles des chefs de projets et des graphistes.

L’entretien et le test d’embauche technique

Après un entretien, les postulants pour le poste d’intégrateur doivent passer un test d’embauche technique, que l’on crée dans ce but. Le test consiste à intégrer une page HTML d’après une maquette graphique. Le code HTML de la page est fourni et le postulant dispose d’une heure pour écrire une feuille de style afin de faire ressembler la page brute le plus possible à la maquette. Il ou elle peut utiliser tous les moyens à sa disposition pour y parvenir, notamment faire des recherches sur Internet.

Source : https://computer-engineer-barbie.herokuapp.com/
Source : https://computer-engineer-barbie.herokuapp.com/

Nous recevons trois candidats, 2 garçons et une fille.

Le premier candidat ne nous semble pas apte à travailler en équipe. Nous l’écartons immédiatement.

Le deuxième candidat, Stéphane*, travaille déjà en tant qu’intégrateur dans une SSII. Il est techniquement très fort et sait faire tout ce qui lui est demandé. Il travaille rapidement. Son code suit un style que nous estimons efficace. Mais ce style est déjà très affirmé et reflète le mode de travail en SSII ; il ne nous semble pas particulièrement élégant. Pour nous, ce sera compliqué de lui faire adapter un autre mode de travail.

La troisième candidate, Delphine*, a suivi une formation multimédia, pratique le dessin, et connaît bien le HTML/CSS. Elle n’a pas d’expérience professionnelle, à part un stage de fin d’études. Par conséquent, elle travaille plus lentement. Nous l’observons pendant la résolution du test. Quand elle ne sait pas faire, elle prend le temps de chercher. Elle nous rend une intégration non finie, mais son code est propre et élégant. C’est sa méthode de travail et sa double compétence à la fois en design web et en intégration qui fait que nous sommes certains qu’elle est notre candidate recherchée.

Pourquoi embaucher Delphine plutôt que Stéphane ?

Ce n’est pas uniquement pour augmenter le quota féminin que nous avons envie de recruter Delphine. Nous pensons également qu’elle est la candidate la plus apte à évoluer et à se retrouver dans cet environnement quasi autogéré qu’est notre équipe technique. Le fait que Delphine aurait moins de chances que Stéphane de trouver un travail bien payé joue également dans notre détermination de pousser notre hiérarchie à l’embaucher elle, dont les connaissances ne sont pas figées plutôt que le garçon qui «sait tout faire».

Aujourd’hui, presque 5 ans plus tard, Delphine travaille toujours en tant que intégratrice web et web mobile.

Il n’y a pas assez de femmes dans les métiers du web

Il est consternant d’apprendre que même dans les grandes entreprises américaines du web, Google, Yahoo et Facebook, le quota de femmes sur les postes techniques est de seulement 16%. On voit aussi que ce problème ne concerne pas uniquement les femmes, mais également les personnes d’éthnicité différente.

Outre les stéréotypes et les préjugés, il y a d’autres raisons à cela, comme l’éducation et l’environnement social dans lequel on grandit.
L’Étude FLOSSPOLS a par exemple démontré que les femmes commencent plus tard à s’intéresser aux ordinateurs que les hommes. Mais aussi, que l’âge auquel on a son premier ordinateur personnel, est un critère significatif.

Faites-vous confiance !

C’est un fait avéré que beaucoup de femmes dans les métiers techniques ou scientifiques souffrent du syndrome de l’imposteur. Ce syndrome consiste entre autre à constamment sous-estimer ses compétences. Il est aussi appellé syndrome de l’autodidacte. Et pour cause. D’après notre expérience personnelle, le syndrome est couramment observé chez ceux et celles qui souffrent d’un manque de repères – et donc pas limité aux seules femmes. Un diplôme lié au métier que l’on pratique ou une expérience personnelle – comme le fait de faire le même métier qu’un parent ou encore l’appréciation publique d’un projet sur lequel on a travaillé – donne un tel repère. Or, en son absence, beaucoup de personnes sont incapables de se situer sur une échelle de compétences.**

Il y a plus d’hommes auto-didactes que de femmes dans les métiers techniques

Malgré le fait que ce syndrome puisse aussi toucher certains hommes, Joyce Park a souligné qu’il y a très peu de femmes auto-didactes, mais énormément d’hommes sans éducation formelle qui travaillent dans des métiers informatiques.

Savoir évaluer ses propres compétences

Nous avons aujourd’hui accès à d’excellentes ressources d’apprentissage par Internet. Pour ne nommer que quelques exemples, gratuits et accessibles à tout le monde :

  • Coursera – dispense des cours de grandes universités en ligne (parmi lesquelles Yale, Stanford, Harvard, École Polytechnique, HEC, etc.)
  • EDX – ONG gouverné par MIT et Harvard qui dispense des cours en ligne
  • CodeAcademy – pour apprendre le développement en ligne
  • AscendProject – pour aider à faire une première contribution à un projet FLOSS

Au delà de la proposition d’apprentissage, tous ces projets peuvent aider à mieux évaluer ses propres compétences.
Coursera notamment utilise un système d’évaluation pour les devoirs qui nous semble intéressant : Chaque étudiant doit évaluer 5 autres élèves à l’aide d’une liste de points à obtenir et ensuite s’auto-évaluer.

Nous vous encourageons vivement d’essayer !

Aux recruteurs de modifier leurs valeurs

Dans notre univers qu’est le web, les technologies évoluent extrêmement vite, et nous sommes tous constamment amenés à découvrir de nouvelles techniques et à intégrer de nouveaux standards dans notre répertoire. Au bout de dix ans de travail dans les métiers du web, j’estime que tout ce qui est technique peut s’apprendre. Une personne qui connaît un langage de programmation passe facilement à un autre langage, elle doit simplement avoir compris la logique universelle d’un seul de ces langages. Ce qui est important, c’est de savoir s’adapter, de comprendre, d’assimiler de nouvelles informations et de pratiquer afin de consolider un savoir-faire.

«Les femmes ne sont pas intéressées»

Souvent, le manque de femmes dans le domaine est mis sur le dos d’un prétendu désintérêt féminin à la fois pour les technologies, à la fois pour des postes techniques. Il est évident que cette affirmation fausse omet l’influence de la culture, de l’éducation genrée et des contraintes sociales auxquelles on fait face.
On entend à la fin de chaque conférence qui déplore l’absence de femmes dans tel ou tel domaine technique la question d’un chef d’entreprise qui se demande comment faire pour recruter plus de femmes. Alors, oui, comment au juste ?

Je vous suggère vivement la lecture de l’article “You suck at technical interviews” (Vous êtes nuls en entretien d’embauche technique) par Laurie Voss, CTO de npmJS. Cet article retranscrit bien ce que nous avons fait de manière complètement inconsciente lors du recrutement de Delphine. Parmi d’autres idées formidables, l’auteur y souligne qu‘il n’est pas utile de recruter un candidat pour ce qu’il ou elle sait déjà faire, mais, qu’au contraire, il faudrait chercher des personnes qui complètent votre équipe et qui sont avant tout intelligentes, capables d’apprendre et de se dépasser.


* Prénoms modifiés
** D’ailleurs, Marion m’a fait remarquer que je sous-estimais toutes les femmes dont je parle, moi-même inclus, dans une première version de ce texte. Merci à elle de m’avoir relu et corrigé.

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