La neutralité du Net : neutre, vraiment ?
Au moment où nous découvrons avec stupeur que la NSA surveille les échanges sur Internet, où certains traités internationaux souhaitent donner la possibilité à certains acteurs privés des pouvoirs de police privée et que le président de SOS Racisme parle de reprise de contrôle d’Internet (sic), il semble essentiel d’expliquer un concept cher aux internautes et associations de défense du Net : la neutralité du Net.
Définition des termes
Il convient d’être clair sur un point : le Net n’est pas le Web et le Web ne se réduit pas à Facebook, Google et Twitter. Quand on parle de Net, on parle d’Internet, on parle d’un réseau décentralisé voire a-centralisé, interconnecté, permettant d’échanger des données.
Quand on parle de neutralité du Net, on parle de neutralité des réseaux. En l’espèce, la neutralité implique une absence de discrimination dans l’acheminement des contenus d’un point A à un point B. Quand Alice envoie un message à Bob, ce message doit être transmis sans que son contenu ne soit lu ni analysé.
Cette idée est née aux Etats-Unis, notamment grâce à un article Tim Wu, ainsi que par différents écrits de Lawrence Lessig et de Tim Berners-Lee. Petit à petit, cette idée a fait son chemin dans les esprits de celles et ceux qui construisent Internet.
En France, c’est lors de la transposition du Paquet Telecom et la mise en place de certaines dispositions contenues dans le Paquet Telecom que certaines personnes ont commencé à s’inquiéter et à vouloir défendre la neutralité du Net. Ainsi, la Quadrature du Net est la figure la plus emblématique dans la défense de cette cause.
La neutralité du Net et les libertés fondamentales
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la neutralité du Net concoure au respect des libertés fondamentales. Tout d’abord, le fait de ne pas discriminer l’acheminement des contenus participe au respect de la vie privée et des données personnelles. De la même façon que le facteur ou le concierge n’ont pas à ouvrir le courrier personnel qui arrive dans une boîte aux lettres physique, un opérateur, un acteur privé ou un Etat n’ont pas à avoir accès aux contenus d’une boîte mail virtuelle.
De la même manière, la neutralité du Net participe au processus démocratique, à travers la protection de la liberté d’expression. Puisqu’on ne discrimine pas un message en fonction de leurs contenus, on permet aux individus d’exprimer leurs opinions, peu importe ce qu’ils pensent. Par enchaînement, la neutralité du Net protège également la liberté syndicale, politique et religieuse.
Quid du droit pénal ?
Récemment, le président de SOS Racisme s’est exprimé en disant que l’Etat devait reprendre le contrôle d’Internet et sous-entendait assez lourdement que l’Etat devait se mettre à filtrer les contenus afin d’en bloquer les contenus racistes. Contrairement à une idée répandue, la neutralité du Net n’est pas en opposition avec le droit pénal. Elle n’a pas pour vocation de protéger les comportements pénalement répréhensibles. Mais elle a – notamment – pour mission d’empêcher le filtrage et le blocage des sites Web a priori, sous couvert de réprimer des infractions pénales. Or, comme tout système se basant sur un postulat et non sur un fait, il n’y aurait alors pas de possibilité de vérifier que les contenus bloqués soient effectivement pénalement répréhensibles. Il n’existe aucune justification sérieuse et respectueuse des libertés fondamentales à ce qu’un contenu soit bloqué a priori sur Internet. Pour reprendre une formulation bien connue « tous les octets naissent, vivent et meurent égaux en droit ». Celles et ceux qui se basent sur des infractions pénales pour essayer de filtrer et de bloquer des contenus sur Internet, sont des personnes qui n’ont jamais ouverts un code pénal, un code de procédure pénale ou un code des postes et des communications électroniques. L’état actuel de la législation Française, communautaire, Européenne et internationale montre qu’il existe des textes et que parler d’Internet comme une zone de non-droit est une aberration dénotant d’une méconnaissance crasse.
La neutralité du Net comme pendant de l’économie libérale
Lorsque l’on dit que les contenus doivent circuler librement, sans discrimination, cela veut également dire qu’ils ne doivent pas être altérés par qui que ce soit, y compris les opérateurs. Concrètement, le site Web que je consulte sur mon ordinateur ne doit pas être différent si je le consulte depuis ma tablette ou mon smartphone. L’opérateur, par exemple le FAI, s’interdit de modifier, ne serait-ce qu’un octet et s’interdit de me surfacturer parce que je consulte un réseau social depuis mon smartphone.
De la même façon, cela implique de pouvoir choisir librement son fournisseur d’accès à Internet, voire de construire son propre réseau.Si on pousse encore plus loin le raisonnement, cela inclut de ne pas être dépendant d’un service et d’exercer un consentement libre et éclairé lorsque l’on choisit de recourir à tel ou tel outil.
La neutralité du Net consacrée par la loi : une nécessité
Certains Etats comme le Chili ont consacré législativement parlant, la neutralité du Net, afin d’en faire une pierre angulaire de la protection des libertés fondamentales sur le réseau. En France, les députés Laure De La Raudière et Corinne Erhel ont porté une proposition de loi afin que cette dernière apparaisse enfin dans les textes. Au niveau communautaire, Neelie Kroes ne semble pas avoir d’opinions tranchées et de position ferme sur la nécessité de faire apparaître la neutralité du Net dans les textes de l’Union Européenne. Protéger aux instances les plus suprêmes la neutralité du Net permettra aussi de réprimer sévèrement toute entité qui souhaiterait l’entraver et donc de violer les libertés fondamentales des citoyens.
La neutralité du Net : l’aboutissement de la responsabilisation des internautes
Chaque internaute devrait être libre sur Internet. Chacun devrait pouvoir faire ce que bon lui semble et en assumer les conséquences : choisir quelles vidéo regarder, quels contenus lire, comment utiliser le réseau. Décider de filtrer des contenus revient à infantiliser les internautes et à laisser quelqu’un d’autre choisir. Par exemple, lorsque le FAI SFR décide modifier le contenu de certains pages en fonction de l’appareil avec lequel les internautes naviguent, c’est une violation de la neutralité du Net. Lorsque l’on propose de filtre a priori des tweets en raison de leur propos, c’est violation de la neutralité du Net. Lorsque certains députés scandent à l’Assemblée Nationale qu’il faut mettre en place des systèmes de surveillance du réseau pour prévenir certains actes, c’est une violation de la neutralité du Net. De façon plus globale, à partir du moment où une entité souhaite s’arroger un droit de regard sur ce qui se passe sur le réseau, c’est non seulement une violation de la neutralité du Net mais aussi une forme d’infantilisation des internautes. Cela sous-entend très clairement que les internautes ne sont pas assez réfléchis pour décider ce qu’ils veulent faire, ce qu’ils veulent voir, ce qu’ils veulent entendre.
Soutenir et militer pour la neutralité du Net, c’est assumer pleinement son rôle d’internaute responsable et de citoyen.
Pour aller plus loin
La neutralité du Net pour les Nuls
La neutralité du réseau
La Quadrature du Net
Bonjour
Avez vous vu que le conseil national du numérique en France a élaboré un avis sur la neutralité de l’Internet que nous avons remis à Fleur Pellerin en début d’année?
Nous élargissons en particulier le concept de neutralité dont vous parlez ici
Christine balagué
Vice présidente du CNN
http://www.cnnumerique.fr/
Bonjour,
oui je suis au courant mais tant que rien de concret ne sortira, je resterai très prudente dans mes affirmations.