Le conseil constitutionnel limite la responsabilité pénale des producteurs de sites en ligne

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Saisi par la Cour de Cassation le 27 juin 2011, le Conseil Constitutionnel vient de se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle .
Ce dernier, modifié par la loi dite HADOPI désigne les personnes pénalement responsables d’infractions telles que la provocation aux crimes et délits, la diffamation ou l’injure, lorsque ces infractions sont commises par un moyen de communication en ligne.


UN RÉGIME DE RESPONSABILITÉ « EN CASCADE »

Largement inspiré de l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et la communication, il instaure un régime de responsabilité dit « en cascade ». Lorsque le contenu incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa mise en ligne, le directeur de la publication engage sa responsabilité pénale quand bien même il ne serait pas l’auteur réel dudit contenu. Il est en première ligne et peut être poursuivi en qualité d’auteur principal de l’infraction, l’auteur réel ne pouvant alors être poursuivi qu’en qualité de complice. Si la responsabilité pénale du directeur de la publication ne peut être engagée, la loi autorise alors à poursuivre l’auteur réel du contenu illicite en qualité d’auteur principal de l’infraction et à défaut de ce dernier, le producteur en qualité d’auteur principal de l’infraction.
En revanche, le directeur de la publication ne peut voir sa responsabilité pénale engagée si dès qu’il a eu connaissance du contenu incriminé, il a procédé promptement à son retrait. C’est alors, en vertu du régime de responsabilité en cascade, l’auteur réel du contenu qui peut être poursuivi en qualité d’auteur principal de l’infraction. A défaut de pouvoir identifier l’auteur du contenu, c’est alors la responsabilité du producteur du service de communication en ligne qui pourra être engagée.


LES PRODUCTEURS DE SITES EN LIGNE

La Cour de Cassation avait défini dans un arrêt du 16 février 2010 le producteur comme un individu « ayant pris l’initiative de créer un service de communication au public par voie électronique en vue d’échanger des opinions sur des thèmes définis à l’avance ». Sont ainsi considérés comme producteurs les auteurs de blogs ou les modérateurs de forums.
L’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 permet cependant aux producteurs de s’exonérer de leur responsabilité s’ils désignent l’auteur du message incriminé ou s’ils démontrent que la responsabilité du directeur de la publication est encourue le cas échéant. Mais, ils ne peuvent ni opposer l’absence d’identification de l’auteur et, à l’inverse des directeurs de publications, ni que les messages illicites n’ont pas fait l’objet d’une fixation préalable leur ayant permis d’en prendre connaissance avant leur publication.


DES DISPOSITIONS LÉGALES JUGÉES INCONSTITUTIONNELLES

Et c’est là toute l’inconstitutionnalité de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle tel que modifié par la loi dite HADOPI. En effet, il est aujourd’hui techniquement très aisé pour un internaute de préserver un anonymat qui rendra impossible sa désignation par le producteur. Dans ce cas de figure, et à l’inverse du directeur de la publication, la loi considérait le producteur comme pénalement responsable même s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas eu connaissance du contenu illicite avant sa mise en ligne.
Le Conseil Constitutionnel a considéré dans sa décision du 16 septembre 2011 que cette différence de traitement entre les producteurs et les directeurs de publication instaurait « une présomption de irréfragable de responsabilité pénale qui serait inconstitutionnelle ¹ » à l’égard des producteurs.
Par conséquent, la responsabilité pénale des producteurs ne peut désormais être engagée que s’il est établi qu’ils avaient eu connaissance du contenu illicite préalablement à sa mise en ligne. Autrement dit, si le contenu a fait l’objet d’une modération avant sa diffusion au public et si l’auteur de ce contenu ne peut être identifié, le producteur pourra être poursuivi comme auteur principal de l’infraction ².


LA LIBERTÉ D’EXPRESSION BIENTÔT CONSOMMÉE SANS MODÉRATION ?

Si l’on peut se réjouir du fait que le Conseil Constitutionnel ait limité de façon claire et précise la responsabilité des producteurs, on peut redouter néanmoins que cette décision ait des conséquences sur l’opportunité de la mise en place d’un service de modération par les producteurs. La modération étant assimilée à fixation ou connaissance préalable avant mise en ligne, le producteur aura en effet tout intérêt à ne plus modérer les contenus mis en ligne sur son site de façon à établir qu’il n’avait pas eu connaissance du message incriminé avant sa mise en ligne. Dans le cas contraire, il pourra engager sa responsabilité pénale.


Cette décision signe-t-elle la mort de services de modération ? N’assisterons-nous pas à l’accroissement des incivilités ou infractions de presse commises par le biais d’Internet ? La liberté d’expression et son cadre légal peuvent être mis à mal par un régime de responsabilité où finalement, dans certains cas, personne ne pourra être tenu pour responsable et comptable de ses actes.

Ces questions restent ouvertes.



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¹ Qui ne peut être combattue par l’apport d’une preuve contraire et ne peut donc pas être renversée. C’est une présomption dite absolue.
² Sauf à démontrer que la responsabilité du directeur de la publication peut être encourue le cas échéant

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