A l’occasion d’une session investissement spécial femmes à l’Open Coffee Club Paris, Isabelle Galy et Eric Dubois avaient invité Morgane Rollando, en la qualité de trésorière de l’association Femmes Business Angels et investisseure.
J’ai eu envie d’en savoir plus sur le principe de business angel en général, sur une association de business angels exclusivement féminins, et sur le parcours d’une investisseure, en particulier.
Rendez-vous a donc été pris avec Morgane, à la Pépinière 27 dans le 11e arrondissement de Paris, où se trouve sa société, Synerfia.
Bonjour Morgane, tout d’abord, qu’est-ce que Femmes Business Angels ?
Femmes Business Angels est une association loi 1901 qui a pour objectif de mettre en relation des investisseuses et des entreprises innovantes en phase d’amorçage.
Nous sommes environ 75 investisseuses, et le 1er réseau féminin de Business Angels en Europe.
FBA est un réseau jeune et plutôt actif au regard des réseaux de Business Angels traditionnels.
Le profil des investisseuses : 1/3 entrepreneures 1/3 professions libérales 1/3 cadre sup.
35% des investissements réalisés par nos membres touchent les femmes (contre 10% pour les investissements en général). Ce faible chiffre s’explique pour deux raisons principales : il y a moins de femmes en créatrices d’entreprises d’une part, et les entreprises de femmes ont souvent moins besoin de cash d’autre part.
Une particularité : Femmes Business Angels propose des formations deux fois par an en six séances pour une quinzaine de personnes désireuses de devenir investisseur-e-s.
Même pour celles qui font de la finance (dont moi), la formation a été très utile.
La formation est ouverte aux non-membres de l’association, et commence à intéresser notamment les acteurs du public qui gèrent les start-up.
Des membres du réseau ou des sympathisants dispensent cette formation. Chaque séance est faite par une personne différente, qui peut être aussi bien homme que femme.
Cette formation est rassurante ; elle permet de confronter les appréhensions des unes et des autres, face au risque que représente un tel investissement, et également d’avoir des retours d’expérience de la part d’investisseurs.
Nous constituons une « promo » à chaque session. C’est plus sympa de regarder un dossier à plusieurs, et plus productif de l’analyser sous l’angle de nos différentes compétences.
Etre Business Angel, concrètement, ça veut dire quoi ?
Le Business Angel est le 1er maillon de la chaîne du financement.
C’est l’investissement le plus risqué du marché : il est bien d’investir dans plusieurs projets pour répartir les risques.
Le montant de l’investissement demandé aux business angels est généralement compris entre entre 100 000 € et 500 000 €. D’autres acteurs sont sollicités pour des montants supérieurs (VC – Venture Capital, fonds) ou inférieurs (aides à l’entrepreneuriat, prêts d’honneur).
Ce montant est généralement partagé entre plusieurs investisseurs. Le rôle d’un Business Angel est aussi d’apporter des conseils relatifs à son expertise, mettre en relation l’entreprise et des membres de son propre réseau en fonction des besoins. Parfois il peut siéger au Comité Stratégique ou conseil d’administration de l’entreprise.
Un exemple marquant de mon support en tant que Business Angel est d’avoir couru la Parisienne déguisée en mariée ! J’ai aussi contribué à l’obtention d’un financement bancaire pour l‘une des start-ups dans laquelle j’ai investi.
Mon conseil aux futures Business Angels : OSER, OSER, OSER
C’est le goût du risque, l’envie d’entreprendre « par procuration », la passion qui motivent principalement la prise de risque de l’investissement.
Peut-on en vivre ?
Comme pour tout investissement, le retour sur investissement dépend bien sûr du rendement, mais aussi (et surtout) de la mise de départ.
Le gain (ou retour sur investissement) des business angels se fait à la sortie. Celle-ci peut avoir lieu à l’occasion d’un tour de table plus important, de la vente à une grosse entreprise, de l’entrée en bourse ou même liquidation (sortie à faible valeur, voire nulle dans ce cas).
Nous tablons sur durée de vie de l’investissement de 6-8 ans, l’objectif initial de 5 ans étant souvent dépassé.
Comment fonctionne la sélection des dossiers ?
Nous fonctionnons en 5 étapes :
1. Sélection papier sur l’envoi d’un executive summary
2. Passage devant le comité de sélection en elevator pitch
3. Présentation devant l’assemblée des investisseuses
4. Choix personnel de chacune pour suivre le dossier en instruction
Cette étape permet de revisiter le business plan, négocier l’aspect juridique. C’est en quelque sorte, une période de fiançailles avant le contrat de mariage. N’oublions pas que le Business Angel est appelé à rester dans l’entourage de cette entreprise pour une période assez longue, 5 à 8 ans. Il est donc nécessaire d’avoir une vision similaire des choses, de bien s’entendre, et d’avoir envie d’aller dans la même direction.
5. Investissement personnel et entrée au capital des membres intéressées
C’est un investissement risqué, pour lequel la passion joue un grand rôle.
Parmi les dossiers sur lesquels nous investissons, il y a peut être le futur Google.
Y a-t-il des aides pour financer les Business Angels ?
Il n’y a pas d’aides directes, mais il est possible de défiscaliser une partie des fonds investis (en 2012, il était possible de défiscaliser à jusqu’à 50% du montant de l’ISF et 18% de l’IRPP – NDLR : Impôt sur le revenu des personnes physiques). La défiscalisation n’est pas le moteur principal de l’action d’un Business Angel, mais ça aide à choisir cet investissement plutôt qu’un autre, c’est certain.
Le mouvement des Pigeons vous a t-il concerné en tant que Business Angel ?
Effectivement : La proposition de loi de finances initiale (pour laquelle les Pigeons se sont battus) ôtait les défiscalisations mentionnées ci-dessus et proposait d’imposer les revenus d’une sortie de capital (qui comme nous l’avons vu, ont une chance de succès plus qu’incertaine, et sont reçus après x années de soutien et de présence dans la société) avec la même fiscalité que les revenus du travail, perçus annuellement.
Depuis, nous communiquons régulièrement avec le gouvernement sur ces thèmes. La présidente et la vice-présidente de FBA font partie de groupes de travail au sein des assises de l’entrepreneuriat, organisées par le Ministère du Redressement Productif.
Quel est votre rôle dans Femmes Business Angels ?
Je suis Business Angel depuis mon arrivée dans l’association en 2009. Je suis devenue passionnée des start-ups innovantes, et me suis très vite investie. J’en suis devenue la trésorière 6 mois après mon arrivée chez FBA. Je le suis toujours.
Même si je donne moins de temps à Femmes Business Angels depuis le lancement de ma société, je continue à faire de la représentation en tant que membre du bureau, j’assiste aux soirées de sélection des dossiers.
J’accorde également 1 à 4 demi-journées par mois pour les entreprises dans lesquelles j’ai investi.
Que faites-vous par ailleurs ?
J’ai un parcours financier ; un DESCF (parcours expertise comptable) et un MBA de Rotterdam School of Management, qui m’a permis d’acquérir une vision complète du management.
J’ai travaillé 15 ans dans des sociétés cotées au NASDAQ (nouvelles technologies) essentiellement en fusion-acquisition, et intégration, à Dublin, Amsterdam et Paris.
Mon rôle de Business Angel m’a ouvert les yeux sur les besoins des jeunes pousses en structuration, projection et accompagnement financier. Ce d’autant que la crise a fragilisé encore plus leurs perspectives de trésorerie.
C’est en partie pour cette raison que j’ai créé en 2010 une société, Synerfia, dont je suis la présidente. Synerfia propose un service de direction financière à la carte aux entreprises en croissance. Il s’agit de mutualisation de compétences financières, l’apport de compétences pointues sur des problématiques de croissance complexes. En s’adaptant aux volumes et au budget des entreprises !
Que peut-on vous souhaiter en termes de développement ?
On peut me souhaiter beaucoup de choses. Parmi celles-ci :
Qu’il y ait de plus en plus d’entrepreneurs, que ceux-ci soient perçus comme des preneurs de risques, des contributeurs à l’économie.
Que ces entrepreneurs acceptent de ne pas tout savoir. Connaître ses points faibles est le premier pas vers les moyens d’y remédier, pour rencontrer les acteurs qui contribuent à la croissance rapide et surtout pérenne de l’entreprise.
Des services comme ceux que propose Synerfia agissent en effet de levier pour la croissance. Une gestion financière saine est le prélude aux fondations solides et pérennes d’une entreprise, dès le départ.
Une dernière question : pour avoir choisi d’intégrer des associations féminines ?
NDLR : Morgane a également fait partie de EPWN – European Professional Women’s Network et de Vox Fémina.
Je suis convaincue de l’importance du partage, de l’entraide, de la mutualisation des compétences. La démarche réseau est pour moi assez naturelle, et indissociable de mon avancement professionnel. Il est plus confortable.
J’ai trouvé plus confortable d’être dans un réseau féminin que dans un réseau mixte. D’autant qu’en France, seulement 7% des business angels sont des femmes. Se retrouver « entre nous » nous permet d’évoluer plus facilement, sans se sentir jugée, on peut prendre et gagner en assurance, et prendre de la hauteur.
Nous en profitons pour montrer les spécificités et les critères d’investissement au féminin. Nous attachons plus d’importance à la personnalité de l’entrepreneur, aux fondations qu’il met en place pour son entreprise, qu’aux fantastiques retours sur investissement qu’il nous promet.
C’est peut-être une vision de « mère de famille », mais un rapport de la société de conseil McKinsey a donné raison à cette gestion moins court-termiste et plus pérenne.
D’autre part, en ce qui me concerne, le réseau et le partage sont extrêmement importants.
Il en va de même pour le choix de travailler dans une pépinière : c’est pour moi l’entrepreneuriat du 21e siècle : plus on donne, plus on reçoit, et mutualiser les compétences c’est ce qui rapporte le plus à long terme.