Plusieurs entreprises ou initiatives – des plateformes de crowdfunding telles que Kickstarter aux crowdsourcing d’idées, notamment par le tout nouveau ID Awards – vous proposent de vous aider à construire votre entreprise en vous fondant sur la «sagesse de la multitude». Pour gratuites et attrayantes qu’elles soient, on peut se demander si ces méthodes sont efficaces. Le crowdsourcing n’est souvent perçu que comme une méthode non pas pour obtenir des investissements conséquents mais comme un moyen de rassembler quelques maigres “donations” déguisées. D’autre part, il peut être délicat de diluer ses idées et les soumettre à un crash-test effectué par la foule. Finalement la multitude ne représente-t-elle pas le conservatisme ambiant et les idées toutes faites du moment ? Après tout, si l’on avait demandé aux propriétaires de calèche ce qu’ils souhaitaient comme amélioration, ils auraient dit « je veux plus de chevaux», pas «je veux une voiture»…
La sagesse des foules : so fashionable
D’après les penseurs et entrepreneurs du crowdsourcing, c’en est bien fini des foules stupides et crédules de The Matrix, dont la pseudo-conscience ne servait qu’à produire de l’énergie pour les plus forts. Désormais, la foule est cool, la foule est sage : elle vous accompagne et vous choye sur les réseaux sociaux, vous informe en mode Wikipédia, et vous aide même à construire votre business en vous rendant plus riche et plus intelligent. Plus riche grâce au crowdfunding, et plus intelligent grâce au crowdsourcing d’idées. Nous serions donc dans l’âge de la «multitude puissante», celle avec laquelle, selon MM Colin et Verdier , il faut s’allier pour «recueillir et valoriser la créativité des individus». Autrement dit, pour extraire gratuitement ou presque de la qualité et de la valeur ajoutée dans toutes sortes de domaines.
Inscrites dans la droite ligne de James Surowiecki avec son livre «Why the Many Are Smarter Than the Few and How Collective Wisdom Shapes Business» , cette idée que la foule est autant voire plus apte que les experts dans toutes sortes de domaines commence à atteindre le tréfonds de la construction économique. On a d’abord fait confiance à la foule pour faire des vidéos de chats qui allaient faire flamber l’audience de YouTube, puis pour financer des projets avec des plateformes telles que My Major Company pour la musique, The Huffington Post pour les blogs et Ulule pour toutes sortes de contenus. Maintenant, selon certains dont le tout nouveau ID Awards, la foule vous aiderait aussi utilement à rassembler des idées et des compétences quand vous construisez votre entreprise. C’est formidable, et c’est moins cher que les experts. Ou pas… Utilisée sans modération, la foule peut non seulement vous “piquer vos idées”, qui ne valent de toutes façons pas grand-chose avant d’être réalisées, mis surtout détruire de bons concepts avant qu’ils ne voient le jour.
Une mode qui est en train de passer de mode ?
L’idée que la foule permettrait à des plateformes de fonctionner par la diffusion de contenus fabriqués gratuitement par monsieur et madame tout-le-monde commence déjà à passer de mode. Par exemple, YouTube, dont le crowdsourcing était le modèle à l’origine, a bien du constater que ce qui était consulté sur sa plateforme n’était pas avant-tout du contenu crowdsourcé (genre vidéo de chats ou court métrage amateur), mais … du contenu professionnel, piraté ou non. Que ce soient des clips musicaux, des émissions, des dessins animés ou des films entiers, nous savons tous que nous utilisons désormais surtout YouTube pour ces contenus faits par des pros. Car créer un contenu, ça ne s’improvise pas, et le public le sait, qui aime voir des choses qui tiennent la route. Google a d’ailleurs négocié de nombreux accords avec les créateurs professionnels de contenus pour les rétribuer justement de leur présence sur son site.
Pour les errements du crowdfunding, c’est-à-dire du financement participatif, il suffit de se référer aux affres de My Major Company, société de financement participatif pour projets musicaux, qui pensait devenir une alternative aux labels. Sauf que cela n’a pas été si simple : de nombreux quidams ayant financé des albums sont très fachés de l’expérience, ainsi que certains des artistes ainsi financés, qui n’auraient pas reçu toutes les sommes investies dans leur projet…
Certains veulent croire que le financement participatif a de beaux jours devant lui et que ces difficultés sont des soubresauts passagers de mise en place. Cependant, à y regarder de plus près, l’on constate que les levées de fonds conséquentes effectuées de cette manière bénéficient avant-tout à des gens déjà connus (l’actrice Michèle Laroque, le mannequin Jean-Baptiste Giabiconi), qui peuvent «banquer» sur un certain patrimoine de célébrité pour convaincre lesdites foules que leur projet est valable… Pour les personnes moins connues, les sommes rassemblées semblent totalement ridicules. En bref, si ces artistes le pouvaient, on peut aisément deviner qu’ils utiliseraient un autre système que celui du financement participatif… car en musique, les labels traditionnels continuent d’avoir la côte.
Dessine-moi une start up
Qu’en est-il donc du crowdsourcing en ce qui concerne la construction de start-ups? ID Awards, un nouveau venu sur le marché encore en version bêta, propose aux futurs créateurs d’entreprises de «confronter leurs idées aux internautes». «A la manière d’un crash test grandeur nature, les idées de nouveaux produits et services sont soumis à l’évaluation des internautes par un système de vote et de dépôt d’avis». On nage donc en plein crowdsourcing…
L’idée des créateurs d’ID Awards vient à n’en pas douter de la mode des «beauty contest» à l’américaine. Suivant cette mode, les jeunes entrepreneurs doivent absolument – sous peine d’échec inéluctable – exposer leurs idées à la chaine dans des présentations Powerpoint. Dans ce système, on apprend au start-upeur que le but de sa vie c’est désormais de «convaincre». Convaincre les investisseurs potentiels, convaincre les journalistes spécialisés, convaincre les entreprises expertes dans l’obtention de subventions, convaincre les distributeurs de subventions. Convaincre au prix de l’essence de son projet, parfois. Car vous comprenez, pour obtenir l’investissement ou la subvention, ou le support des journalistes, on a bien du mettre des chiffres un peu farfelus dans le tableau Excel voyez-vous, et on a bien du leur montrer ce dont on pensait qu’ils avaient envie…
Maintenant ID Awards va encore plus loin en fournissant une opportunité à l’entrepreneur en herbe de tenter de convaincre La Foule. Mais on peut légitimement se demander si à force de convaincre les autres on ne se perd pas soi-même. Avec ce genre de système, l’on donne de la valeur aux projets seulement s’ils sont acceptables par les autres, et ce à un stade très précoce, au détriment de la petite étincelle d’inspiration qu’on a eue à la base. Et surtout, on retarde le moment du passage de l’idée au produit et du produit à la vente. Or seules ces deux étapes constituaient véritablement de l’entreprenariat.
Belle idée
Le crowdsourcing est à n’en pas douter une belle idée, née d’envies démocratiques et de foi dans l’humain… Wikipédia le montre : on peut réaliser un projet grâce à un ensemble de contributeurs dédiés. Cependant il reste encore à établir si la promesse du transfert de cette belle idée au monde de l’entreprise est efficace. Car Wikipédia n’est pas rentable, et dépend des donations. Et YouTube n’est devenu vraiment attrayant pour les annonceurs que grace au contenu professionnel. Quant au funding et à la construction de start up, il n’est pas impossible que les nouveaux espoirs mis sur le crowdsourcing viennent de l’inaptitude actuelle des solutions traditionnelles de funding (VC, banques, business angels…) et du coût trop élevé des services d’accompagnement des start up (rédaction de business plan, aide à la stratégie, etc). Mais cela est une autre histoire ….
3 réponses
Très bel article !
Tout à fait d’accord avec la conclusion….
merci pour cet article,je suis entrain de me renseigner sur le crowdsourcing et j’ai trouvé ton article très instructif ! Il est vrai que maintenant on essaie de trouver des mots à des choses qui existent déjà plus ou moins mais qui ne fonctionne pas. Après tout pourquoi ne pas économiser !
Un projet de crowdsourcing particulièrement ingénieux mais méconnu du public est le ReCAPTCHA, ces petites images qui protègent les formulaires de robots spammeurs. En les utilisant, le “crowd” numérise en réalité des textes de livres scannés (GoogleBooks) mais dont le contenu est impossible à traiter via OCR (reconnaissance de caractères) et du New York Times. Ainsi, ReCAPTCHA a réussi à numériser plus de 30 ans du New York Times en “utilisant” la force des vrais humains – mais plus ou moins à leur insu (car on n’en est pas informé quand on déchiffre ces captchas).
Mais là, on n’est pas dans la production à proprement parler de contenus mais uniquement dans le déplacement d’une tâche particulièrement pénible, coûteuse, voire infaisable par des machines dans les mains d’humains avec des yeux et des cerveaux. C’est ça qui est ingénieux.