Pourquoi le poney pailleté est plus sexy que la licorne

la dame à la licorne

Incubateurs, accélérateurs, startups, fleurissent à Paris et dans toute la France, pendant que le haut débit lui peine à conquérir le territoire national. Les GAFA font les gros titres de tous les journaux à chaque fois que leur petit doigt valant des milliards bouge. Les biographies de Steve Job s’arrachent, le MEDEF crée des trempolines pour jeunes pousses et notre Ministre de l’Economie se prend pour un vieux barbu qui par sa construction solitaire d’un radeau a sauvé l’humanité du désastre. Bref, le monde numérique et de la Silicon Valley a gagné la bataille des idées, devenant le modèle dominant après avoir été la contre-culture.

La startup est devenue l’alpha et l’omega de la politique de réindustrialisation de la France. L’Etat veut y mettre toute sa volonté, aidé en cela par certains penseurs du numérique. Et ce qu’on veut, ce sont des Licornes, le symbole de puissance adapté aux nouvelles technologies : une startup atteignant une valorisation d’au moins un milliard de dollars.

Pourtant certains, en Europe et outre-Atlantique, s’interrogent sur cette volonté adulescente de rêver l’entrepreuneuriat au travers d’animaux magiques et de la valeur strictement financière qui est au coeur de leur définition. Et si l’Europe prenait la vague suivante de la transition numérique en étant adulte et optimiste ?

La France doit-elle être une Dame à la Licorne ?

Une Licorne, c’est le rêve vendu aux startupers et que les incubateurs vendent. Une Licorne, c’est la scalabilité absolue, le business-model qui décoiffe, la disruption au bout des doigts : Uber, Facebook, Theranos… et des valorisations en bourse ubuesques. L’habitat naturel de la licorne semble être l’Amérique du Nord et plus particulièrement les U.S.A.
Aussi, nombre d’experts, d’incubateurs ou de programme d’accélération prônent les bonnes pratiques des licornes : lean, scrum, attentes liquides etc.. Tous prônent aux jeunes entrepreneurs la pensée startup en formule : le très fameux «stay foolish», les incantations à ne pas abandonner («try, try, try»), et le parfaitement adéquat «Fake it until you make it». L’incantation principale est le «FAIRE», dans l’esprit du «just do it». A force de pensée magique et positive ( et d’un petit peu de travail et de beaucoup de capital ), la Licorne apparaît.
La Licorne, c’est beau, il nous en faut.

Dans son rapport « La richesse des nations après la révolution numérique», Nicolas Colin, membre fondateur de The Family et enarque, pose trois constats qui d’après lui, empêchent la France d’être compétitive sur le marché du numérique, trusté par les Américains et qui mèneraient à terme à une forme de colonialisme numérique :

  • l’incompréhension des élites
  • l’impact plus fortement ressenti de la transition numérique sur les classes moyennes
  • la résistance de la société française au numérique.

Nicolas Colin affirme que nous ne sommes donc qu’un marché de débouchés et de ressources pour les géants du numérique et ce malgré une recherche et développement performante.

Pour créer une dynamique de croissance et de création d’emplois dans les nouvelles sociétés, Nicolas Colin propose de favoriser les stratégies de «full stack startup» c’est-à-dire de capitaliser massivement à l’amorçage pour intégrer verticalement celle-ci dans la filière et évincer tous les acteurs en place.

Avec NOE, Emmanuel Macron et donc la France, semble emboîter le pas de Nicolas Colin. Les collectivités et l’Etat ne cessent d’incuber et quelques 4000 startusp verront donc le jour à Paris dès l’année prochaine, avec notamment la Halle Freyssinet. La France veut être la Dame à la Licorne.

Où vit la Licorne ?

L’ère de la disruption est en plein essor. AirBnB est le plus gros loueur et ne possède aucun appartement, Uber est le plus gros service de transport personnel et ne possède aucun véhicule… nous connaissons tous la slide. Pour cela, ces plateformes créent cette alliance en aval du marché avec la multitude dont parlent Henri Verdier et Nicolas Colin. Et les licornes gambadent donc gaiement outre-Atlantique.

Avec le léger recul que nous pouvons nous permettre, il faut aussi penser la Licorne dans un réel, et comme dit Lacan, le réel c’est quand on se cogne. Et de nombreux exemples commencent à apparaître :

  • Homejoy par exemple, l’Uber du nettoyage à domicile qui leva 40 millions de dollars et qui est un fiasco total
  • Theranos, la start-up de l’hitchcokienne Elisabeth Holmes qui devait disrupter le marché des tests sanguins et que le New York Times accuse de truquer les résultats
  • Uber ne cesse de faire face aux critiques
  • Le New Yorker a même annoncé les obsèques de trois licornes la semaine dernière.

La Licorne, ce sont ces entrepreneurs qui veulent faire notre bien malgré nous comme Elon Musk ou la Singularity University de Google. Et comment la Licorne peut-elle faire notre bien ? Par son poids financier obtenu par la spéculation boursière sur son titre et ses revenus propres. La Licorne, c’est l’ultra-capitalisme qui la produit alors qu’elle se fonde et qu’elle communique sur des notions de bien commun. C’est d’ailleurs ce que l’on voit avec cette confusion journalistique qui fait de Uber un parangon d’économie collaborative.

La Licorne existe-t-elle hors-sol ? Elle vit aussi sur des infrastructures, celles qui ont permis l’éducation de ses employés, sur des déploiements de fibre, sur des routes, sur de la sécurité et sur des gens. Nous pouvons rejoindre, surtout suite aux évènements du 13 novembre la voix de Marie-Noelle Lienneman qui interpella Facebook en le remerciant de son filtre bleu-blanc-rouge, mais appuya sur le fait que les Français préfèreraient une juste contribution en payant des impôts. Les gouvernements et les représentants semblent en prendre conscience en créant une taxe GAFA. C’est aussi le raisonnement posé par Bernard Stiegler et qui pose la disruption comme un facteur de dérèglement social, non pas comme la destruction créatrice de Schumpeter pouvait le faire, mais bien au-delà, et ce d’autant moins que toutes les études démontrent que la redistribution de la valeur produite des plus riches aux plus démunis n’existe pas. Et la Licorne, dans son monde merveilleux, se fout que notre monde soit celui où les inégalités entre les pays et à l’intérieur des couches sociales de pays n’ont jamais été aussi grandes, car elle, elle fait partie des 1% et elle, elle dit «Don’t be evil» à ses 54 000 employés dans le monde pour ses 65 milliards de capitalisation boursière en une seule séance.

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Ne pas faire tapisserie dans la nouvelle économie.

En cette fin de phase d’amorçage de la révolution technologique qu’est Internet, nous devons en arriver à la phase de déploiement. Et avant d’en arriver à cette phase, peut être devrions nous écouter aussi de nouvelles voix que celles de sirène des licornes, car ces survalorisations intenables, des marchés financiers instables et une Chine affaiblie, permettent aux meilleurs analystes de prévoir l’inévitable : une explosion de la bulle des licornes.
Ecoutons ces voix. Le président de Pepsi par exemple qui n’a pas eu de mots assez durs pour fustiger le manque d’innovation des modèles publicitaires du web. L’association des professionnels de la publicité américaine qui a vertement affirmé : «On a déconné.» Les reportages sur la réalité de la Silicon Valley se multiplient. Même, la reine des licornes s’y met en fermant son fonds d’investissement dans les start-ups, expliquant que « il y a moins d’opportunités à saisir (…)L’afflux d’argent a fait augmenter les prix et a donné trop de pouvoir de négociations aux entrepreneurs ».
Certains aux Etats-Unis préparent déjà cette nouvelle vague et créent des armées de cafards.
Qu’est ce qu’un cafard ? C’est ce que Catarina Fake, co-fondatrice de Flickr et de Huntch et dirigeante de Fidery appelle de ses voeux. Les cafards survivent à tout : ils acceptent de maigrir, ils sont rationnels et ont des économies fondées sur le réel et qui sont saines. Les cafards sont même utiles au reste du monde. Wired le signale, si la bulle des licornes éclatent, les conséquences seront terribles et particulièrement sur les travailleurs du secteur numérique. Alors pourquoi pas dire avec Sequoia «RIP Good Time» et prendre directement la prochaine vague au lieu de suivre désespérément celle qui est en train de s’écraser ?
 
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Quel doit-être l’unique objet de mon désir ?

Au vu des résultats des dernières élections, il serait bon de se souvenir de ses deux phrases pour repenser l’innovation. La première est d’Adorno : « Ce que l’on ne dit pas, c’est que le terrain sur lequel la technique acquiert son pouvoir sur la société est le pouvoir de ceux qui la domine économiquement. De nos jours, la rationalité technique est la rationalité de la domination elle-même. Elle est le caractère coercitif de l’aliénation de la société ». Elle nous rappelle que la manière dont nous envisageons l’entrepreneuriat numérique a une influence politique et que ce programme politique ne semble pas être celui que veulent les populations. La deuxième est celle de Rousseau : « Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et gérer une société ».
L’Europe et la France ont une histoire et une tradition socratiques : «Connais-toi toi-même» est notre culture que nous voulons exceptionnelle. Et c’est vers cela que nous ne cessons de tendre. Nous ne possédons pas le même écosystème capitalistique que nos amis américains, nous n’avons pas la même culture. Et si il y a une leçon que nous devons retenir de la mondialisation, c’est que la spécificité, l’altérité est ce qui crée la diversité, le frottement, et la croissance. Même les World Wild Companies l’ont compris, comme Pepsi ou Coca qui valorisent le marketing culturel au sein de leur stratégie.
Notre spécificité culturelle devrait être notre force et nous permettre de créer un nouveau modèle qui nous corresponde car comme le dit l’inventeur même du mot marketing, Philip Kotler, le marketing de demain sera celui de la valeur. Le consommateur en réclame. Et cela n’affecte en rien l’effet démultiplicateur de cette multitude, européenne qui a aussi un argument de poids : vouloir des produits de qualité, respectueux, rationnalisés, innovants et personnalisés et qui contribuent au bien vivre de tous. Et consciemment alors, ces consommateurs voudront bien être enrolés dans la chaine de valeur de l’entreprise car elle en créera pour tous en respectant tout le monde.
Blablacar par exemple a parfaitement réussi cette alliance entre la culture européenne et la multitude de ses consommateurs. Blablacar, c’est notre poney auréolé des paillettes des recommandations de la multitude qui se transforme en cheval de course.
Alors ce qui devrait être l’unique objet de notre désir, c’est de penser les services et les produits et ce particulièrement en numérique, dans une vision du temps long, au service de tous, dans une volonté d’émancipation de chacun et il est probable que pour ce faire, il vaille mieux élever des poneys à paillettes que des licornes.

Une réponse

  1. Quel bel article qui donne envie de découvrir ce rapport de Nicolas Colin !
    Cela fait du bien de voir émerger un autre discours que celui de la course aux chimères avec l’obésité comme ambition. Il faut repenser la valeur ( création et destruction de valeur ) dans l’innovation et la spécificité comme un atout, tendre à cela quel que soit la monture.

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