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Avec son franc parler et son enthousiasme communicatif, Axelle Tessandier est de celles qui arrivent à transmettre instantanément la passion du numérique. Artiste, entrepreneur et visionnaire, cette jeune femme a été directrice marketing de Scoop.it à San Francisco et a crée son agence AXL Agency avec laquelle elle a lancé la célèbre plateforme de crowdfunding Kickstarter en France.

Qu’est-ce que les start-ups françaises ont à apprendre de la Silicon Valley?

Aux Etats-Unis, les start-ups de la Silicon Valley ne sont pas gênées par leur ambition. Vouloir changer le monde, là-bas, n’a rien de vulgaire comme cela peut l’être en France.

Les pitchs eux aussi sont très différents. En France, ils sont souvent intellectualisés et sont très axés sur la qualité du produit. Avoir une idée et la partager, ce n’est pas du tout la même chose. Les deux axes sont aussi importants l’un que l’autre.

Aux Etats-Unis, c’est le storytelling, au pur sens du terme, qui est dans la culture de la Silicon Valley. Cela peut s’expliquer par le fait que généralement en France, les fondateurs de start-up sont diplômés de grandes écoles alors qu’aux Etats-Unis, les fondateurs ont en tête le mythe du self-made man.

En France nous avons d’excellentes idées, d’excellents ingénieurs, nous n’avons pas à complexer par rapport à la Silicon Valley.

Il y a  en France un focus important sur la collaboration Grand groupe/start-up que je n’ai pas vu à la Silicon Valley. Je vois tellement de grands groupes qui ont leur incubateur ou qui lancent leur concours « hackathon ». Cette collaboration-là n’existe pas aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis, les start-ups ne sont pas là pour être les meilleures copines des grands groupes, elles sont là pour essayer de déloger ces monopoles.

Les start-ups françaises doivent arrêter d’être obsédées par la Silicon Valley. Au lieu d’essayer de reproduire la prochaine Silicon Valley, je pense qu’il faut complètement se défaire de ce genre de discours et nourrir nos talents particuliers pour leur permettre d’éclore. Créer le prochain Google n’a pas de sens selon moi.. Au lieu de tenter de reproduire des modèles d’entreprise, les start-ups françaises devraient plutôt réfléchir à quelle seront les prochaines étapes de la révolution numérique.

Il y a beaucoup de choses que nous savons faire en Europe que les Etats-Unis ne savent pas faire. D’ailleurs, il est essentiel de penser au niveau européen et pas seulement au niveau de la France. Il faudrait plus parler d’Europe Tech plutôt que de French Tech. Je suis très étonnée que les start-ups françaises se focalisent seulement sur la France. Le marché est trop petit. Le premier marché auquel doivent penser les start-ups française est l’Europe. Il faut penser comme l’internet, l’internet n’a pas de frontière. Une start-up ne peut pas se penser dans une frontière.

En 2007, dans son discours annonçant la sortie de l’iphone, Steve Jobs disait : “Nous sommes une compagnie innovante car nous sommes une compagnie qui travaille au croisement de la technologie et de l’art”. La France est un pays au croisement de la technologie avec une énorme culture artistique et cela est une vraie force dans cette révolution numérique.

Que voulons-nous vraiment comme futur?  Le futur appartient à ceux qui le veulent le plus et pour le moment je me demande si les européens le veulent vraiment. Si les européens voulaient vraiment le futur, ils passeraient beaucoup de temps à l’imaginer et à le construire. Je pense que ceux qui racontent le plus l’avenir pour l’instant, ce sont les personnes de la Silicon Valley mais ça n’est pas du tout une fatalité.

Il y a quelques temps Ellen Pao est montée au créneau contre la discrimination des genres dans la Silicon Valley. A ton avis, quelles seraient les mesures à prendre contre cette discrimination dans les nouvelles technologies ?

La Silicon Valley a un problème de discrimination des genres, c’est certain. La nouvelle économie a une responsabilité de ne pas reproduire les inégalités de l’ancienne. Je crois beaucoup au fait qu’il faut plus de femmes dans les panels. Les start-ups françaises ont la responsabilités de ne pas reproduire les inégalités des entreprises du CAC 40 et de l’ancienne économie. Toutes les inégalités sont insupportables. Je suis féministe par définition comme je suis humaniste par définition. Pour contrer les inégalités quelles qu’elles soient, l’éducation est capitale. Les femmes limitent aux barrières que la société leur a inconsciemment posées.

Beaucoup de femmes effectuent des études scientifiques et pourtant, on ne les retrouve pas par la suite dans des postes à responsabilité car elles n’ont pas de mentors. Le mentorship est très important et il n’y a pas de mentorship qui prend le relai pour avoir confiance, pour trouver sa place. Le mentorship dans les start-ups et la nouvelle économie est très important. Les femmes se plaignent souvent du manque de mentor. Une sisterhood qui se mettrait en place serait très intéressante. Les mentors pourraient être aussi bien des hommes que des femmes. Il faut des rôles modèles pour les femmes. Il faut qu’on les retrouve à des places stratégiques, que le leadership représente cette nouvelle vision de la société. Il serait judicieux de mettre en place des réseaux pour que les femmes puissent trouver du soutien et des mentors. La discrimination des genres dans la tech peut disparaître s’il y a plus de femmes entrepreneures, plus de femmes qui  fondent des licornes. Les femmes doivent arrêter de douter d’elles-mêmes. Elles sont légitimes dans la tech et doivent lutter contre le syndrome de l’imposteur.

Que pourrait-on faire pour qu’il y ait plus de femmes entrepreneures?

L’éducation et les « role models » sont primordiaux. J’écoutais un discours de Camille Landais qui a eu le prix du meilleur jeune économiste 2016. Il expliquait que la discrimination des genres dans le milieu professionnel est bien plus visible à la naissance du premier enfant. La naissance du premier enfant est beaucoup plus pénalisante pour les femmes dans leur carrière professionnelle. Quand Mark Zuckerberg prend tout son congé paternité, il veut donner un exemple. Ce doit être aux leaders économiques, startuppers, CEO, de prendre conscience que tout ce qu’ils font au sein de leur entreprise fait partie d’une vision de la société. Chaque individu a une responsabilité de déclarer et de montrer quelle société il imagine. On ne peut pas avoir une société innovante si nous conservons des principes archaïques. L‘innovation, ce n’est pas rendre plus efficace la société mais repenser la société. Je suis très optimiste pour le futur. La nouvelle génération va penser la société différemment. Je crois beaucoup à l’individu comme moteur du changement.

 

Propos recueillis par Aurore Lanchart.