Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Economie et des Finances, chargée du Numérique et de l’Innovation, a répondu à toutes nos questions. ROI de l’investissement public en matière de start-up, French Tech, Crédit Impôt Recherche, impôts et GAFA, et bien sur, place des femmes dans le web, elle n’a éludé aucune question. Et en bonus, elle nous parle d’avenir : de celui du numérique en France, beaucoup et du sien, un peu.
Axelle Lemaire, pour débuter, pouvez-vous nous donner une définition d’une start-up en France ?
Je pense qu’il serait difficile de trouver deux personnes qui donnent la même définition. Pour faire simple, je dirais que le mot en lui-même porte deux aspects importants : le concept de jeune entreprise (start) et celui de croissance rapide (up). En allant un peu plus loin, on pourrait ajouter le fait qu’une start-up s’appuie souvent sur une innovation de rupture qu’elle soit technologique, sociale ou d’usage et qu’elle vise un marché nouveau sur lequel le risque est très présent et le besoin de financement important. La France est une terre particulièrement propice à la création de startups grâce à ses excellents dispositifs de soutien à l’amorçage et à la R&D, tout comme lorsque la start-up se transforme en scale-up. Nous avons ces dernières années porté beaucoup d’efforts sur ce point alors que la France accusait un certain retard ; cela notamment grâce à la création de la Banque publique d’investissement et de l’engagement des fonds de capital-risque français, ce qui a fait fortement progressé le pays comme en attestent régulièrement les classements internationaux en matière d’investissement.
Comment décririez-vous l’écosystème numérique français ? Avec la French Tech, vous avez poursuivi l’oeuvre de Fleur Pellerin, avec une labellisation, pouvez-vous en quelques mots décrire à un jeune entrepreneur quel avantage cela représente pour lui ? Quel enjeu pour la France derrière ce label ?
L’écosystème numérique français est en plein essor. La French Tech est née de la volonté de ce Gouvernement de soutenir les entrepreneurs dans leur aventure en leur offrant la visibilité dont elles ont besoin pour attirer des investisseurs. Ce label permet une reconnaissance du savoir-faire français et cette reconnaissance est lisible sur nos territoires mais également dans le monde.
En France, tout d’abord : les investissements en capital-risque ont doublé entre 2014 et 2015 et sur le premier semestre 2016, les levées de fonds ont progressé de 25% par rapport à la même période selon le baromètre de CapGemini. Rien que sur le premier trimestre 2016, il y a eu 133 levées de fonds pour un total de 283 millions d’euros. De plus, notre pays se classe en tête du classement devant le Royaume-Uni et l’Allemagne en termes de création de startups par an.
C’est aussi le cas à l’international. Le dernier exemple est la labellisation de dix nouveaux hubs notamment à Berlin ou encore Shanghai et Shenzhen.
Ce label est un véritable tremplin de visibilité pour nos jeunes entreprises innovantes, comme par exemple au CES de Las Vegas où l’an dernier, pas moins de 190 startups de la French Tech étaient présentes, dont 130 dans l’Eureka Park soit le double de l’année 2015. C’est une merveilleuse chance de présenter ses produits à des investisseurs étrangers. Il me tarde d’ailleurs de voir ce que va donner le cru 2017.<
Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marquées dans cet écosystème durant votre mandat ?
Il est très difficile de répondre à cette question car, une des choses que j’aime le plus dans le cadre de mes fonctions, c’est d’aller sur le terrain, rencontrer et échanger pour enrichir mon action et questionner aussi mes orientations. Ça peut paraitre lisse de dire ça mais chaque fois que j’ai parlé avec quelqu’un, aussi bien des entrepreneurEs que mes homologues, ou encore des personnes qui viennent me voir après une table ronde ou un discours, j’ai appris quelque chose. Il y a bien sûr des rencontres étonnantes, d’autres impromptues, mais chaque rencontre a son lot de richesse.
Parlons recrutement et emplois. Une étude Roland Berger sur Numa montre que le profil des créateurs de start-up et employés ne démontrait clairement pas une baisse des barrières à l’entrée du travail ou une grande diversité et ce notamment pour les femmes : homme, jeune, diplômé de grandes écoles, voilà le profil. Comment ouvrir le numérique a plus de parité et mixité sociale ?
C’est un constat que je fais très régulièrement. Je l’ai dit à plusieurs reprises et quand je me rends à une table ronde ou que je monte sur scène en voyant que je suis la seule femme, je m’interroge. Beaucoup de femmes sont très compétentes dans les domaines du numérique, mais rares sont celles à qui l’on donne la parole en tant qu’expertes.
De nombreuses initiatives sont déjà en place pour faire en sorte que la parité et la mixité sociale soient réelles. Et il est du devoir de tous d’en faire la promotion.
Des initiatives de féminisation du numérique sont actives – notamment Girlzinweb – quels pourraient être selon vous les leviers d’amélioration de la présence des femmes dans les secteurs d’innovation ? Et comment y arriver ? Avez-vous une feuille de route à ce sujet ?
Un des grands défis que je me suis fixée concerne la Grande école du numérique, lancée en septembre 2015 par François Hollande : chaque labellisation a pour objectif d’atteindre 30% de femmes, ce qui est encore évidemment trop peu. Dès le plus jeune âge les enfants, les petites filles, doivent apprendre à coder. C’est pourquoi nous avons décidé avec le ministère de l’Education nationale, de financer cet apprentissage du code dès la rentrée 2015 dans le cadre des activités périscolaires. Cet enseignement est entré à la rentrée 2016 dans le cadre de la réforme du collège et du plan pour l’école numérique. Ça va permettre aussi de déconstruire certaines idées, comme celle que l’informatique est une filière masculine.
Plus qu’une feuille de route, j’essaie de mener des actions concrètes au quotidien et de soutenir les initiatives qui font en sorte que les femmes prennent la place qu’elles peuvent et doivent avoir dans le monde du numérique. Quelques exemples :
J’ai eu le plaisir d’accueillir dans les couloirs de mon cabinet une exposition, « Quelques femmes du numérique », portée par Olivier Ezratty et Marie-Anne Magnac. J’ai pu écouter des parcours étonnants, de femmes incroyables qui ont su s’imposer, malgré les obstacles parfois rencontrés au sein de leurs entreprises et souvent dans des métiers techniques ou de management. Cette exposition est une merveilleuse façon de leur rendre hommage et de leur donner une visibilité dans l’espace public.
Ce n’est pas sans fierté que je suis aussi la marraine du programme « 66 miles » lancé par Paris Pionnières et Five by Five et qui va permettre à des femmes qui souhaitent monter leur entreprise, de le faire sans quitter leur poste.
Et puis, j’ai eu l’honneur d’être présente, encore une fois, pour la remise des Trophées Excellencia le 18 octobre dernier.
Toutes ces initiatives professionnelles ou associatives, de Girlz in Web à StartHer en passant par E-mma, l’association des étudiantes de l’Epitech, ou Femmes du Numérique participent de la nécessaire reconnaissance des femmes dans cet univers. Les jeunes filles ont tout autant besoin de modèles de réussite que de cadres d’échange. Le combat est loin d’être terminé mais je crois désormais que l’avenir du numérique ne s’écrira plus #JamaisSansElles.
De nombreux lieux d’incubation ont fleuri à Paris et en France, souvent avec des aides d’Etat ou des territoires. Avez-vous des chiffres sur le ROI de ces lieux en matière de développement des start-up, de leur pérennisation, de leur croissance, de la création d’emplois ?
Les lieux d’innovation fleurissent en effet et c’est une très bonne chose ! Les startups ont trop longtemps peiné à trouver des locaux pour s’installer et se développer. Les garages font surtout rapidement partie de la mythologie car pour réussir il est important de trouver un hébergement adapté à sa croissance. Concernant précisément votre question, il est difficile d’apporter une réponse globale. Les modèles sont différents, publics et privés, les ambitions. J’observe simplement que tant les acteurs publics, je pense en particulier à Paris&Co, que privés, depuis le Numa jusqu’aux accélérateurs qui bénéficient du soutien du Fonds French Tech Accélération par exemple, poursuivent leur développement en France, mais aussi à l’international. C’est donc bien que le modèle est désormais rôdé tant financièrement que méthodologiquement. Je profite aussi de votre question pour me réjouir de l’ouverture à Paris, l’année prochaine, de ce qui sera le plus grand incubateur de startups au monde : la Station F. 1000 startups dans plus de 30 000 mètres carrés, c’est un sacré pari !
Où en est-on en matière d’Open Innovation ? Que pensez-vous des relations entre les start-up et les grands groupes ?
C’est un enjeu fondamental, tant pour les startups que pour les grands groupes et les ETI. La France possède cet atout incroyable de disposer tout à la fois d’entreprises internationales performantes et d’une scène de jeunes entreprises innovantes et créatives. Il faut en profiter ! Lorsque que je suis arrivé à Bercy, j’ai pu constater que si les relations entre grands groupes et PME avaient fait l’objet de nombreuses initiatives, notamment autour de Pacte PME, ce n’était pas le cas pour les startups. C’est pourquoi j’ai voulu lancer l’Alliance pour l’Innovation ouverte en partenariat avec l’Institut Open Innovation. Le principe est simple : pas d’approche punitive mais un encouragement aux bonnes pratiques à travers une charte d’engagements concernant les circuits de décision, les tests de concepts, la propriété intellectuelle ou la communication. A ce jour, près de trente grandes entreprises, des dizaines de startups ainsi que la quasi-totalité des clusters ou des pôles de compétitivité ont adhéré à cette Alliance. Elle pose, je crois, les bases d’un travail partenarial de qualité, même s’il faut aller plus loin avec le fait, notamment, favoriser une plus grande implication des grands groupes dans le financement en capital des startups. Plusieurs d’entre elles se sont fortement engagées sur cette voie, ces derniers mois, j’en suis ravie.
Parlons fiscalité et notamment le Crédit Impôt Recherche ? Pourquoi ce manque de transparence, notamment avec l’impossibilité de publier les travaux menés par la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin ? Pourquoi est-il défavorable aux PME qui ne bénéficient que d’environ 20% de ce dispositif alors qu’elles représentent en volume 90% ? Comment expliquer que de grosses entreprises qui ne payent pas d’impôts se retrouvent créditées par le C.I.R ?
La commission d’enquête sur « la réalité du détournement du crédit d’impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l’emploi et de la recherche de notre pays»a été mise en place en 2014 par le Sénat mais le rapport de Mme Gonthier Maurin n’a pas été adopté par la commission et n’a donc pas été publié par le Sénat. Pour autant, ces travaux on permis la tenue d’un débat en séance publique en janvier de cette année2016.
Je me suis toujours battue pour la transparence de l’action publique. En conséquence, je souhaite bien entendu que les abus soient identifiés et dénoncés ; et, le cas échéant, que le dispositif du CIR soit encadré. C’est pourquoi nous avons mis en place en 2013 la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) dont le but est d’évaluer les politiques d’innovation : cette commission réalise en ce moment une évaluation approfondie et scientifique du dispositif du CIR, qui pourra compléter les travaux de Mme Gonthier-Maurin. Je considère qu’il faudra évidemment tenir compte des conclusions qui seront présentées mais, depuis 2012, nous avons aussi fait le choix de la stabilité pour le Crédit Impôt Recherche sur la durée du quinquennat, pour favoriser le contexte de l’investissement en R&D, renforcer l’attractivité de nos équipes de recherche, et soutenir la compétitivité des entreprises les plus exposées à la concurrence internationale. Ce choix est payant car il rassure les entreprises et permet des investissements de long terme.
Sur la répartition par type d’entreprises, effectivement, les PME, qui représentent la grande majorité des bénéficiaires, touchent environ 31%, et non 20% du CIR. Ça s’explique par leur taille, qui engendre moins d’activité de R&D mais il faut savoir que proportionnellement, le CIR bénéficie plus aux PME qu’aux grandes entreprises ! En effet en 2013, les PME ont réalisé 29 % des dépenses de R&D déclarées, et ont perçu 31 % du CIR, alors que les grandes entreprises (plus de 5000 salariés), ont réalisé 40 % des dépenses de R&D et perçu 35 % du CIR. Le dispositif de remboursement anticipé permet en outre une facilité d’accès à ce dispositif pour les PME. Il est également important de signaler l’existence du Crédit d’Impôt Innovation qui permet spécifiquement de renforcer les dépenses d’innovation des PME. En élargissant la base du CIR à la conception de prototypes ou à l’installation pilote de produits nouveaux, ce crédit d’impôt favorise également la transformation de PME traditionnelles en PME innovantes. A son entrée en vigueur en 2013, 87% des bénéficiaires de ce dispositif avaient moins de 50 salariés ; et la moitié moins de 20.
Il semble que la France ait annoncé qu’elle ne réclamerait pas sa part des 13 milliards d’euros d’impôts qu’Apple, qui n’est imposé qu’à 0,05% en Irlande. Est-ce toujours le cas ? Si oui, pourquoi ? Et si non, quel mécanisme prévoyez-vous de mettre en place pour que ce que beaucoup vivent comme une injustice fiscale ne soit plus possible ?
S’agissant du cas particulier de la décision de la Commission à propos d’Apple, le Gouvernement applique ces même principes : d’abord, recadrons le débat, les fameux 13 milliards d’euros correspondent aux arriérés d’impôts qu’Apple aurait dû acquitter en Irlande, pas au niveau européen. Ensuite, il s’agit d’arriérés qui concernent des contrats qui remontent jusqu’à 1991 – d’où l’importance de la somme. La Commission européenne, à la lumière de ces éléments, a invité les Etats-membres à examiner la bonne application du droit fiscal dans chaque Etat. La France ne fait pas autre chose et le fait ni plus ni moins que d’habitude, en s’appuyant sur le droit en vigueur.
Et de ce point de vue, la France ne reste pas les bras croisés, au contraire ! En 2015, les différents articles portant sur la territorialité de l’impôt ont permis de rétablir 2 milliards d’euros d’assiette fiscale au bénéfice de la France. Cette assiette est ensuite redressée à l’impôt sur les sociétés et le redressement se voit appliquer des pénalités de 40 ou 80%. Sur les exercices 2008 à 2012, les grandes entreprises concernées se sont ainsi vus notifiés 2,5 milliards de redressement (droits et pénalités). Et ce n’est pas fini, car les exercices suivants (2013 à 2015) sont en cours de contrôle.
Nous restons fidèles à notre approche. Nous ne faisons pas de stigmatisation de certains acteurs en particulier mais il est de notre devoir de lutter contre l’évasion fiscale. Il faut une application stricte pour une efficacité à long terme et de la crédibilité et non pas des mesures fortes uniques visant à instaurer un rapport de force au profit de transactions bien en deça de pénalités standards. Il ne faut pas exclure non plus l’importance d’une approche internationale : la concurrence fiscale entre les Etats est une des causes fondamentales de l’érosion des bases fiscales. C’est pourquoi l’imposition des multinationales et notamment des GAFA doit être harmonisée au niveau international et ne pas relever d’initiatives nationales unilatérales. Des propositions ambitieuses ont déjà été adoptées au niveau de l’OCDE avec le projet BEPS, qui prend notamment en compte les spécificités de l’économie numérique. Sur ce projet, nous touchons d’ailleurs au but, après deux années de travail intense. Près d’une centaine d’Etats travaille à la finalisation de sa rédaction pour qu’il puisse être ouvert à la signature dès le premier semestre 2017.
Finalement la question des impôts d’Apple entraine une question qui va transformer profondément nos sociétés, que peut-on faire face aux GAFA? N’y aurait-il pas un projet européen à construire autour de l’innovation ?
D’une manière générale, l’échelon européen est celui qu’il faut privilégier pour discuter avec ces géants de l’internet. Nous sommes tous ravis en tant que consommateurs des biens et services numériques que ces entreprises nous apportent – ne l’oublions pas, mais cela ne peut se faire à n’importe quel prix ! Et l’Europe a commencé à prendre la mesure de la situation. Vous parliez de la question fiscale, difficile, mais il y a aussi celle des données personnelles par exemple : les 28 pays de l’Union ont su se mettre d’accord sur une réglementation européenne pour protéger les données personnelles des européens. C’était en mai dernier. Nous avons su aussi instaurer la neutralité du net au niveau européen – c’était en 2015.
Au-delà de cet aspect « défensif », il faut en effet promouvoir une approche positive et offensive de l’action européenne sur la question numérique. C’est notamment pour cela que des réflexions sont actuellement en cours avec l’Union européenne sur la création d’une enceinte de discussion dédiée à l’innovation, un Conseil de l’innovation si vous voulez. Ce serait un vrai signal vers une Europe de l’innovation. Je propose aussi que l’on développe davantage les outils d’attractivité de l’UE et favorise la construction de champions européens, grâce à une politique assumée de recrutements de talents hors de l’Union, de favoriser les échanges entre écosystèmes des différents pays (à commencer par la France et l’Allemagne) et la constitution d’outils de financement de l’innovation paneuropéens (fonds d’investissements de taille européenne). Ce sont par des projets concrets européens que nous relèverons ce défi de l’innovation européenne.
Avec vos homologues européens, comment envisagez-vous la construction européenne à l’heure du numérique ? L’Etat français n’a-t-il pas notamment un certain retard sur le sujet de l’administration numérique, notamment par exemple en comparaison avec l’Estonie ?
Au contraire, nous sommes très en pointe sur le sujet de l’e-administration ! L’Estonie est un cas très particulier : ils sont effectivement leader européen en la matière avec des outils d’e-administration très simples et très performants, mais ce qui a été possible dans un pays qui avait tout à construire à la fin des années 90, pour 1,3 million d’habitants et sur un territoire près de 15 fois plus petit que le nôtre n’est pas aussi aisé à réaliser en France !
Nous avons quand même de nombreuses réalisations à succès à notre actif : un système d’impôts en ligne robuste et efficace, un nombre de téléservices en croissance, bientôt reliés avec France Connect, la simplification administrative avec le programme « Dites-le nous une fois », ou encore l’ouverture par défaut des données publiques que nous avons porté dans la loi pour une République numérique. La France prend aussi la présidence du Partenariat pour un Gouvernement ouvert, qui regroupe plus de 60 pays aujourd’hui ; un sommet sera d’ailleurs organisé à Paris du 6 au 9 décembre prochain, où nous aurons l’occasion à nouveau de mettre en valeur ce bilan.
Puisque nous parlons administration, parlons citoyenneté et numérique. Comment réduire la fracture numérique (et nous ne parlons pas que d’accessibilité et de fibre) en France ? Comment éduquer les futurs citoyens et la Silver génération aux bons usages du numérique ?
Vous me parler d’éduquer les futurs citoyens, c’est en effet l’un des défis majeurs que nous devons relever. Aux dernières élections régionales, la tranche de la population qui s’est le plus abstenue sont les 18-25 ans1. Les jeunes ne votent plus et pourtant ils s’engagent ! Dans des associations, sur internet, dans leurs écoles… il est important que notre système démocratique s’adapte à ces nouvelles formes d’engagement. Les Civic Tech sont des technologies au service de la démocratie et de l’engagement civique qui valorisent en grande partie cette nouvelle manière de s’engager en ligne. Liker un post ou le partager avec ses amis Facebook est une marque d’engagement fort, une nouvelle forme de militantisme – et sans doute plus efficace que la distribution de tracts.
Vous avez raison de souligner que l’accessibilité n’est pas qu’une question matérielle. La question de la formation au numérique est centrale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a intégré au programme de l’Education nationale le code, afin de préparer tous les citoyens de demain. C’est dans le même esprit que nous avons lancé la Grande Ecole du Numérique, afin de former des jeunes dans des métiers où des pénuries de main d’œuvre se font déjà sentir. Entre 50 000 et 120 000 postes seront à pourvoir dans le numérique d’ici 2022. Cela représente des opportunités de croissance exceptionnelles.
Après, je considère que nous devrons aussi aborder davantage certains sujets aux élèves, notamment sur la protection de leur vie privée.
Le numérique, vous en serez d’accord n’est pas qu’un outil, d’ailleurs la technologie n’est jamais neutre. C’est aussi un programme politique et qui manifestement porte les idéologies libertariennes de la Silicon Valley. Ce discours semble attirer de plus en plus de jeunes. Comment recrée-t-on de la solidarité à l’heure du numérique ? Quel modèle avons-nous à proposer face à ce soft power ?
Très bonne question. Je dois tout d’abord dire que le numérique n’est pas opposé à la notion de solidarité, un grand nombre d’outils recréent du dialogue et permettent d’organiser la solidarité. Le numérique pense la solidarité en dehors de l’Etat, par des relations entre des personnes qui partagent des intérêts communs. C’est notamment le cas des Civic Tech qui permettent un dialogue entre les élus et les citoyens, la concertation sur un projet de loi comme je l’ai fait autour de la loi pour une République Numérique ou la mobilisation pour défendre certaines causes.
Par ailleurs, je fais confiance à la société française pour être résiliente. Le mouvement des communs et les mobilisations successives sur les enjeux environnementaux sont la preuve que les français ont un véritable sens de l’intérêt général et ne souhaitent pas aller vers plus d’individualisme. Au contraire, ils souhaitent s’engager et le numérique est un nouveau moyen de le faire. Ce n’est pas un hasard si la notion de « communauté » est très forte dans le monde du numérique. Par exemple, lors de la consultation sur la loi pour une République Numérique nous avons vu se mobiliser plusieurs communautés que nous n’attendions pas forcément. Les chercheurs et les joueurs de jeux vidéo ont été très nombreux à manifester leurs revendications, ils n’auraient sans doute pas pu le faire sans cette consultation en ligne.
Nous sommes bientôt en 2017. Quel bilan ferez-vous de votre passage au Ministère ? Et qu’avez-vous prévu de faire au deuxième semestre 2017, dans tous les cas de figure ?
Lors de ma nomination en 2014, mon portefeuille ministériel, qui était traditionnellement à « l’économie numérique » a été élargir au « numérique » dans toutes ses composantes. Je considère donc que ma priorité devait être de transformer toutes les politiques publiques pour tirer parti du numérique et rendre des services plus modernes et plus adaptés au monde d’aujourd’hui mais aussi plus collaboratifs et transversaux.
En deux ans et demi, j’ai ainsi installé l’Agence du numérique, déployé la French Tech dans les territoires et à l’international, accéléré le plan France Très Haut Débit et lancé la plateforme France Mobile pour que chacun ait accès au numérique, lancé la Grande Ecole du Numérique. Mes collègues à l’éducation, à la réforme de l’Etat, aux finances ont également modernisé leurs approches : je pense en particulier au cadre fiscal de l’innovation qui a été entièrement refondu pendant le quinquennat dans un sens plus favorable à la prise de risques.
Cette année a enfin été l’occasion de porter le volet législatif de mon action : la loi pour une République numérique, qui a été publiée le 8 octobre dernier après de passionnants débats au Parlement. J’ai voulu cette loi innovante sur la forme et sur le fond : première loi co-construite avec les internautes, elle est le socle indispensable pour préparer notre pays aux enjeux de demain. Je pense en particulier au cadre favorable que nous avons créé pour développer pleinement une économie de la donnée, aux nouvelles opportunités de diffusion et d’accès au savoir et aux données que nous offrons aux chercheurs et aux scientifiques, au cadre de développement de nouvelles activités comme le paiement par SMS ou le e-sport. Avec ce texte, nous avons définitivement sorti le numérique des débats éternels et souvent confidentiels sur les télécoms ou sur l’audiovisuel.
Dans les prochains mois, je continuerai à me battre pour mes convictions : la transparence de l’action publique, la nécessité de renouer un lien de confiance avec la population, l’esprit d’innovation comme moteur de la réussite de notre pays et enfin la nécessaire solidarité envers ceux qui craignent d’être laissés sur le côté. Je crois aussi que certains sujets vont devenir majeurs pour notre société et notre économie : la place des algorithmes et, plus loin, les effets de l’intelligence artificielle. Il faut engager une réflexion de fond sur les équilibres, les inégalités, le travail au sein de notre société dans un monde qui sera de plus en plus automatisé et ouvert.
Je me consacrerai ainsi pleinement à mon action jusqu’au dernier jour de ce mandat. Quant à la suite, nous verrons bien comment la situation évolue ! Une chose est sûre : tout est possible – les événements politiques des six derniers mois nous l’ont encore prouvé – donc je n’exclus rien.
Propos recueillis par Abeline Majorel
Une réponse
Le CES est naturellement composé de poids lourds de l’industrie mais aussi de figurants qui ignorent qu’ils jouent souvent le rôle de cons ou d’idiots utiles. Les premiers y signeront des contrats, les seconds recevront des centaines de cartes de visite, aussitôt remises que périmées, qu’ils pourront ramener en souvenirs avec leur award en chocolat.